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#WomenHumanitarians : "Être une travailleuse humanitaire, c’est aider son prochain, faire le bien et faire preuve de gentillesse".

Découvrez le parcours d’Habiba et comment la jeune femme, qui a grandi dans le plus grand bidonville du monde, s’est hissée au rang de travailleuse humanitaire.

Enfant, Habiba rêvait déjà de travailler dans l’humanitaire. Habiba, 36 ans, est originaire de Nairobi au Kenya. Elle a rejoint Malteser International en 2018 en tant que Coordinatrice Santé et Nutrition au Bangladesh, qui accueille un grand nombre de réfugiés Rohingya. Dans cette interview, Habiba parle de son expérience en tant que travailleuse humanitaire dans divers pays et situations d’urgence.

Comment avez-vous intégré le domaine de l’humanitaire ? Pourquoi êtes-vous devenue travailleuse humanitaire ?

J'ai grandi dans le plus grand bidonville du monde, Kibera, à Nairobi, au Kenya. Certaines organisations humanitaires ont établi des camps médicaux gratuits dans les bidonvilles. Nous recevions ainsi des soins de santé gratuits. J’ai été inspirée par ces médecins qui aidaient les autres sans jamais demander de paiement. Il faut dire que là où je vivais, beaucoup de personnes n’avaient pas les moyens de payer les frais médicaux.

Dès lors, tout ce que je souhaitais c'était de pouvoir un jour, moi aussi, aider les communautés défavorisées. Dans mon pays et partout dans le monde. J'ai donc étudié la médecine et je suis allée au Soudan du Sud pour commencer ma carrière humanitaire.

Pouvez-vous vous souvenir de moments précis lors de votre carrière où être une femme a joué un rôle important, positif ou négatif ?

Ici, dans le camp de réfugiés au Bangladesh, le fait d'être une femme me permet d'interagir plus facilement avec les bénéficiaires. Je suis capable d'aborder des questions très délicates. Les bénéficiaires sont à l’aise avec la présence d’une femme et ont plus de facilités à se confier.

Le genre joue un rôle important dans les interactions sociales entre les hommes et les femmes dans de nombreux endroits où l'aide humanitaire est nécessaire. Dans certains cas, les femmes n’ont pas accès à des services vitaux si ces services ne sont pas conformes aux normes culturelles. En tant que femme, il m’est plus facile d’établir le contact avec les bénéficiaires féminines que mes collègues masculins. Cette relation privilégiée m'aide à identifier les causes profondes de nombreuses questions qui, bien souvent, ne sont jamais discutées dans les espaces publics.

Cependant, je reconnais que, parfois, être une femme joue contre moi et je ne peux rien faire contre ça. En cas d'insécurité, lors d’une embuscade militaire par exemple, mes homologues masculins pourraient avoir un pouvoir de négociation plus élevé parce qu'ils auraient affaire à des hommes affamés de pouvoir pour qui l'opinion d’une femme n’a pas d’importance. 

Quels sont les stéréotypes qui vous dérangent ou quelles sont les situations auxquelles vous êtes régulièrement confrontée simplement parce que vous êtes une femme dans le secteur ? 

Le stéréotype de la femme hésitante me dérange beaucoup. Souvent, des collègues féminines n’expriment pas leur opinion car elles ne veulent pas donner l’impression d'être insistantes. Parfois, elles pensent même que leurs idées ne sont pas assez bonnes et qu'elles doivent obtenir l'approbation de leurs homologues masculins. En tant que travailleuse humanitaire africaine, j'ai parfois l'impression de devoir travailler deux fois plus dur pour être prise au sérieux. Ayant travaillé dans 6 pays au cours de ma carrière humanitaire (Soudan du Sud, Nigeria, Yémen, Pakistan, Sierra Leone, Bangladesh), j'ai fait l'expérience de la discrimination, en particulier lors de réunions très médiatisées où montrer son influence compte plus que les objectifs communs. J'ai parfois dû demander à des hommes de se joindre à moi pour des réunions, uniquement parce que leur présence aide les autres à me prendre au sérieux et à me respecter.

Vous travaillez avec des femmes réfugiées au Bangladesh. En quoi être une femme vous permet-il de vous identifier à ce qu'elles vivent ? 

Je suis une femme et une musulmane comme la plupart des réfugiés ici. Les rôles attribués aux genres sont assez semblables à ceux que l'on attend de moi. Je comprends les attentes de la société à l'égard de ces femmes et cela m'aide à gérer de manière diplomatique les situations critiques, toujours avec l'aide du personnel bangladais.

Avez-vous déjà eu peur pour votre vie ? Comment vos collègues ont-ils aidé dans ces situations ? 

Je travaille dans des environnements dangereux et je crains toujours d’être victime de violence basée sur le genre. Avant de partir en mission sur le terrain, mes collègues et moi organisons des séances d'information sur la sécurité, qui m'informent des risques potentiels.

J'ai eu une peur bleue lors d'une nuit de combats intenses au Yémen. Il y avait des balles partout sur le sol de la salle d'urgence où j'étais stationnée. J'avais très peur, mais quelqu'un devait recevoir et soigner les blessés. J'ai toujours eu la chance d'avoir de très bons collègues qui font preuve de solidarité dans des situations difficiles et les organisations pour lesquelles j'ai travaillé m'ont toujours soutenu.

D’autres femmes vous ont-elles aidé dans votre carrière ?

Beaucoup de mes superviseurs au Soudan du Sud étaient des femmes. Leur mentorat m'a aidé à me développer, tant sur le plan personnel que professionnel. Chez Malteser International, j'ai eu le plaisir de travailler avec des femmes cadres fortes. Elles m'ont soutenu dans mon rôle et m'ont donné l'opportunité de contribuer à l'amélioration de l'équipe.

Que diriez-vous à d'autres jeunes femmes qui envisagent une carrière dans l'aide humanitaire ?

Travailler dans l’humanitaire demande un énorme sacrifice. Cependant, venir en aide aux plus démunis est très gratifiant. Les rôles attribués aux genres seront toujours présents en dépit des avancées mondiales pour l’égalité des sexes. Il y a des progrès, mais les stéréotypes sont toujours présents. Reconnaissez l'existence de ces stéréotypes et soyez prêtes à y faire face dans votre carrière en tant que travailleuse humanitaire. La vie d'une travailleuse humanitaire n'est pas facile, mais c'est possible. Votre volonté en tant que femme d’y arriver peut vous aider à surmonter des montagnes.

Enfin, que signifie pour vous être une travailleuse humanitaire ? 

Pour moi, être une travailleuse humanitaire c’est aider son prochain, faire le bien et faire preuve de gentillesse. C'est ce que j'ai toujours voulu faire. Je me suis souvent dit "c'est ma dernière mission", mais après quelques mois à Nairobi, j'avais l’'impression de m’égarer donc je faisais à nouveau mes valises, puis partais pour la mission suivante. Dans ma communauté nubienne au Kenya, c’est très rare que les femmes voyagent à travers le monde pour leur travail, mais moi j'aime le faire. C'est ce que j’aime et ce qui me permet de bien dormir la nuit.


Août 2019

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